Fonds de dotation
Jean-Pierre Bertrand

Etrog, 1999

Par Sandra Barré, critique d’art, commissaire et chercheuse

Il est de certaines expositions que l’on n’a pas vécues, mais qui pourtant nous marquent lorsqu’elles sont contées. Étrange phénomène de projection. D’autant plus lorsqu’il s’agit d’expositions polysensorielles dont les sensations sont traduites par le témoignage du corps sentant. C’est ainsi que j’ai pris connaissance d’Etrog, donnée à voir et à sentir à la Biennale de Venise de 1999.

Jean-Pierre bertrand © DR
Etrog
© ADAGP - Jean-Pierre Bertrand

Ces mots à contre-courant me faisaient apparaître le travail de Jean Pierre Bertrand, non pas par ce que la critique raconte habituellement avoir vu, mais par ce qui avait été respiré : « L’odeur d’Etrog envahissait tout l’espace et les visiteurs ne comprenaient pas forcément d’emblée que ces exhalaisons étaient partie prenante de l’installation ».

Dans les deux pièces du pavillon français, les volumes étaient distordus. Le sol détruit, des plaques enduites de matières organiques accrochées au mur, quelques touches dorées parsemant l’espace, une forte lumière jaune, neuf cédrats entiers et d’autres encore aux branches de cédratiers semblaient mêler le bas et le haut et brouiller les échelles de perception. Le citron cédrat, fruit utilisé par les Juifs lors de la fête de Soukkot, étrog en hébreu, était omniprésent. Il s’habillait de lumière. Sa couleur, bien sûr, qui teintait l’espace, mais également son parfum, qui pareil aux rayons du soleil, semblait se diffuser. Cet agrume, récurant dans la pratique de Jean-Pierre Bertrand, pouvait habituellement imbiber des papiers ou était présenté entier, en groupe dans diverses installations. Il était pour lui, racontait-il, l’incarnation d’un corps, sa substance et se révélait primordial lorsque l’artiste notait l’importance de ce fruit dans l’aventure de Robinson Crusoé, personnage solitaire qu’il évoquait souvent.

Voilà que ces notes agrumées dévoilées, dissipées depuis 24 ans viennent inspirer mes recherches sur l’art olfactif. Les brèves paroles que j’y appose sont partiales. Comme les premières que j’ai pu entendre, elles sont ouvertes et saupoudrent la trace d’une impression. Elles ne parlent que de ce parfum de citron que je ne pourrai jamais sentir, mais que j’imagine. Et de quoi parle-t-on toujours, si ce n’est de ce qui est, quelque part, rêvé ?

Sandra Barré
Critique d’art, commissaire et chercheuse, porte son intérêt sur l’art contemporain et moderne, et particulièrement sur les manières de faire art impliquant l’expérience physique. C’est notamment l’odeur de l’art qui anime ses recherches actuelles.


1999
Pavillon français de la Biennale de Venise
2 x 27 cédrats en 5 et en 4 dans deux niches creusées

© Jean-Pierre Bertrand / Photo : Laurent Lecat, 1999

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