« Mise au corps »
Dialogue entre Sandra Barré, Tiphaine Calmettes et l’œuvre de Jean-Pierre Bertrand
Rencontre de l’atelier #2
Compte-rendu à lire ou à écouter
Profondément intéressée par la dimension corporelle et physique de l’expérience artistique, Sandra Barré a proposé à Tiphaine Calmettes de venir discuter de ces enjeux dans son travail, au regard de la démarche de Jean-Pierre Bertrand.

© Jean-Pierre Bertrand - ADAGP
Introduction par Sandra Barré
Sandra Barré introduit le dialogue entre l’artiste Tiphaine Calmettes et l’œuvre de Jean-Pierre Bertrand par les questions du cycle de l’œuvre et de la corporalité.
Le cycle de l’œuvre
« Quand le Fonds de Dotation Jean-Pierre Bertrand m’a proposé d’intervenir, je réfléchissais beaucoup à la question de la disparition de l’œuvre, de la disparition consciente de l’œuvre, et cela s’inscrivait dans les réflexions que je mène sur les œuvres immatérielles.
Il se trouve que je pensais au travail de Tiphaine Calmettes pour l’œuvre La terre embrasse le sol, qui est une œuvre de 2019 dont on va pouvoir discuter plus tard, ou le principe de cette œuvre, c’est qu’elle est faite à partir de terre crue et ce qui fait œuvre, c’est la modélisation de la terre, les rencontres qui vont être faites par et à travers cette modélisation, et le fait que cette œuvre va ensuite retourner à la terre, puisque c’est une œuvre qui se trouve dans un jardin. Il y a vraiment une idée de cycle dans ce travail-là, et effectivement cette idée de cycle c’est le premier pont que j’ai pu faire entre le travail de Jean-Pierre Bertrand et de Tiphaine Calmettes.
La question du corps
Et ensuite est venue l’idée de l’a corporéité, du fait que le corps est très important dans le travail de Tiphaine Calmettes comme dans celui de Jean-Pierre Bertrand. Corps qui va être triple : le corps de l’artiste qui va venir faire l’œuvre ; le corps du spectateur qui va être engagé dans la réception de l’œuvre ; et le corps de l’œuvre qui est important dans le travail de Tiphaine Calmettes puisqu’elle réfléchit a des questions d’agentivité, et dans le travail de Jean-Pierre Bertrand.
Points de contact
C’est par les mots que c’est tissé cette conversation. On s’est rendu compte qu’il y avait, en discutant avec Tiphaine Calmettes et avec l’équipe du Fonds, qu’il y avait des mots qui surgissaient qui n’avait pas les mêmes significations dans les deux travaux, mais qui pouvait être des catalyseurs. On a décidé d’orienter cette conversation comme ça, par quatre mots, nous allons à chaque fois nous appuyer sur le travail de Tiphaine Calmettes dans un premier temps et sur celui de Jean-Pierre Bertrand dans un second temps. Je vous dis les mots pour que vous puissiez vous retrouver : on va parler de Corporalité, d’ingestion et d’absorption, la dynamique du tout et d’alchimie. Vous verrez il y a beaucoup de croisement. Il y a d’autres notions qu’on a trouvé qui aurait pu fonctionner et j’espère qu’on va pouvoir en parler aussi, à savoir la question de la ruralité, de l’humide, de l’exposition comme médium, de l’énergie comme système. »
CORPORALITÉ
En revenant sur son projet, Quand la terre embrasse le sol (2019, Biennale de Lyon), Tiphaine Calmettes évoque la question du cycle de l’œuvre, de sa conception à sa destruction. Autant de discussions qui font écho à l’exposition de Jean-Pierre Bertrand au Musée des Beaux-arts de Toulon en 1981 et au travail de l’artiste sur les boites de sel.
« L’idée ce n’était pas d’avoir une forme ou une construction pour elle-même, il n’y avait pas tant de choses à voir pour les gens qui venait voir le lieu, hormis l’histoire qu’on pouvait leur raconter. C’était un projet à vivre plus qu’à regarder. »
Tiphaine Calmettes
« Là encore il y a ce jeu entre l’œuvre qui a son propre corps, dans une sorte de matérialité presque humaine, et l’expérience de l’œuvre qui va pouvoir être multiple. »
Sandra Barré
« Cette pièce de Jean-Pierre Bertrand, qui s’appelle Le livre de sel, est constituée de boîtes à sel empilées formant deux tours sur des roulettes. La pièce se mange d’elle-même, ce livre étant dans son propre cycle de disparition. De la même manière que chez Tiphaine, il y a une prise en compte des intempéries, de la nature, mais surtout de la propre disparation de la pièce. C’est une notion que l’on retient aujourd’hui chez beaucoup de jeunes artistes qui prennent en compte le cycle de l’œuvre. »
Nina Rodrigues-Ely
IMPRÉGNATION
À partir des réflexions de Tiphaine Calmettes sur le repas et sa valeur rituelles, l’artiste et Sandra Barré reviennent sur la recherche du Vivant chez Jean-Pierre Bertrand.
« J’ai pensé ces tables comme un paysage ou l’alimentation allait elle-même se déplacer, que ce ne soient pas le repas qui vienne au visiteur, au goûteur, mais bien le goûteur qui vienne au repas. Aussi comment le repas peut être un récit dont les objets et les aliments sont les personnages principaux »
à propos de l’œuvre Il y avait des odeurs qui marchaient
Tiphaine Calmettes
« Les papiers qu’utilise Jean-Pierre Bertrand ne sont pas de beaux papiers, mais l’imprégnation fait qu’il y a une transmutation. Il ne la revendique pas comme une alchimie, mais comme une chose très simple : maintenir du vivant. »
Nina Rodrigues-Ely
« Le repas c’est aussi s’engager physiquement dans une expérience commune. Comment ces expériences communes peuvent-elles être transformatrices ? »
Tiphaine Calmettes
DYNAMIQUE DU TOUT & ALCHIMIE
Tiphaine Calmettes explique la construction de sa dernière exposition personnelle à Vassivière. L’exposition envisagée comme medium artistique, la question de l’humide, l’énergie comme système de d’élaboration des œuvres, sont autant de points de contact avec l’œuvre de Jean-Pierre Bertrand.
« La production d’objet devient une famille d’outils qui peuvent être ensuite ré-agencés, dans différents contextes, en fonction des expositions, des usages que je veux leur donner. »
Tiphaine Calmettes
« Jean-Pierre Bertrand refusait la contemplation, il est du côté du vivant, la chose qui est en train de se faire.
Ce qui interpelle dans le travail de Tiphaine Calmettes,c’est cette question de déambulation, de points d’énergie, d’espace. Finalement le point de contact avec Jean-Pierre Bertrand c’est la question de l’énergie. »
Nina Rodrigues-Ely