Fonds de dotation
Jean-Pierre Bertrand

Six barres/dessins, 1985-1987

par Élisabeth Lebovici, critique d’art

Passant de la verticalité à l’horizontalité, l’on ajoute au tableau, une table des matières utilisées.

Jean-Pierre bertrand © DR
6 barres/dessin
© Jean-Pierre Bertrand - ADAGP / Photo : Yves Bresson/Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole

Mixed Media : papier (et papier recyclé), mine de plomb, bois peint en blanc, plexiglas (la vitre qui recouvre chaque panneau) et fer, classique. Quelques éclats de laiton (Jean-Pierre Bertrand : le laiton, parce que ça évoque l’or, donc le processus de transmutation de l’or. Mais comme c’est de l’art, ce n’est donc pas de l’or). Mais aussi : citron, miel ; sans cela cette œuvre eût été noir, blanc, beige : ce sont ces substances respectivement acides et sucrées qui prêtent leur couleur au papier. Le teintent plutôt, tant il s’agit d’imbiber le support, non de le recouvrir.
La désignation des matériaux relève une peu - comme une sauce - l’effroi du début (c’est beau mais je n’y comprends rien). Car elle propose comme un premier acte d’appropriation. C’était cela ! le jugement de goût se branche, adhère littéralement aux sensations gustatives que provoquent les substances : j’ai faim des yeux. La saisie par le spectateur-critique passe sinon par la salive du moins par l’oralité : toutes limites abolies, l’œuvre devient tout à coup très proche.
Il est vrai, chacune des marques de crayon ou de matière liquide (il n’y a pas vraiment de différence à faire ici entre dessin et coloration), tout ce qui se donne à voir comme trace, déchet, jus, liant, excrétion, sécrétion, humeur, relève du plus intime parmi les pratiques de l’art. L’œuvre prend ainsi le regard mais… pourtant ne se rend pas, l’affect mis à distance grâce aux procédures d’encadrement et d’installation (à défaut de s’inscrire dans un système symbolique, l’œuvre est dignifiée dans le processus de son exposition).
Le processus de fabrication de l’œuvre - celui que le Modernisme nous a habitué à reconstruire - s’est épuisé dans l’inventaire des matières. Mais savoir avec quoi ces œuvres ont été faites n’abolit pas la peur. Il ne s’agit pas d’imaginer l’artiste au travail mais de se mettre en position de recevoir l’œuvre, c’est à dire d’en devenir véritablement le spectateur. Il s’agit de l’incarnation du spectateur.

extrait de Jean-Pierre Bertrand, Six barres/dessin, 1985-1987, Collection caisse des dépôts et consignation, I. 1991

Elisabeth Lebovici
critique d’art


Yellow green aplat

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