Fonds de dotation
Jean-Pierre Bertrand

Penser une archive d’artiste comme un organisme vivant
par Hélène Gheysens et Nina Rodrigues-Ely

Rencontre #3 - À LIRE ET À ÉCOUTER

Hélène Gheysens et Nina Rodrigues-Ely partagent leur expérience et leur vision des archives de Lea Lublin et de Jean-Pierre Bertrand. Après avoir aborder chacune des pratiques artistiques, elles mettent en lumière des principes fondamentaux d’organisation et les enjeux propres à notre époque.

Jean-Pierre bertrand © DR
Jean-Pierre Bertrand, une seconde à Buenos Aires
© Jean-Pierre Bertrand - ADAGP

Pratiques artistiques : Lea Lublin, Jean-Pierre Bertrand

Hélène Gheysens et Nina Rodrigues-Ely parlent des spécificités de Lea Lublin puis de Jean-Pierre Bertrand dont les démarches artistiques imprègnent les documents et les œuvres dans un perpétuel mouvement, au-delà de toutes catégories préétablies.

Lea Lublin par Hélène Gheysens

L’archive pour un art de transformation

« L’archive comme trace du réel prend une place particulière dans le travail de Lea Lublin à partir de 1972 et de son exil prolongé en France. Lea Lublin fait en effet partie de cette génération d’artiste qui cherche à intégrer l’intensité du réel dans l’œuvre. On peut penser en effet aux mouvements contemporains tel que Fluxus, l’art corporel, au travers des happenings, de la performance, des actions. Elle cherche véritablement à rapprocher, voire fusionner, l’art et la vie. »

« Lea Lublin affirme dans un texte publié en 1970, (…) « l’art peut et doit agir comme art de transformation ». La question n’est pas la nature de l’objet, mais l’effet social produit. Et elle utilise l’archive comme une forme donnée au réel afin de le déplacer dans l’espace et le temps. »

Blanco sobre Blanco

Lea Lublin, ’’Blanc sur Blanc’’, oeuvre détruite © Lea Lublin
Lea Lublin, ’’Proceso a la Imagen, Elementos para una reflexion activa’’ © Lea Lublin
Lea Lublin, ’’Lecture d’une oeuvre de Lea Lublin par un Inspecteur de Police’’ © Lea Lublin

« Le sujet principal de l’artiste n’est pas iconographique, mais la dénonciation du conservatisme de la société argentine, et de l’autorité du pouvoir. »

Interrogations sur l’art

Lea Lublin, ’’Interrogations sur l’art’’ (vue l’atelier) © Archive Léa Lublin
Lea Lublin, Interrogations sur l’art à Anvers © Lea Lublin
Lea Lublin, Interrogations sur l’art à Anvers, © Lea Lublin

« Lea Lublin utilise le document comme élément de syntaxe au sein de l’œuvre, mais une syntaxe ouverte en écho à sa réflexion sur le langage. Elle cherche à s’extraire de la détermination du discours. On le voit dans la liste de questions d’apparence incohérente (des Interrogations sur l’art). Qui a pour objectif d’empêcher toute réponse préétablie, et donc de construire un énoncé personnel. »

« Cette série, (les Interrogations sur l’art), versatile et polymorphe, est un défi pour l’historien d’art, car elle interdit toute classification. Par sa nature mouvante, elle s’oppose à toute explication ou exposition définitive. Sa composition hybride, performance, évènement, sondage, psychanalyse, pédagogie, jeu, expérience, journalisme, ne permettent pas de la saisir dans son ensemble. Elle interroge toutes les catégories traditionnelles. »

Jean-Pierre Bertrand par Nina Rodrigues-Ely

L’archive pour un art du Vivant

« Si Jean-Pierre n’employait jamais le mot « archive », on peut néanmoins avancer qu’il produisait sa propre archivistique, un ensemble de documents qui formait la substance d’un processus artistique. »

« La question de l’archive n’apparaît pas directement, mais vient tisser sa recherche du Vivant. Le Vivant est au cœur de sa démarche en tant que transformation continuelle et intrinsèque de l’œuvre. »

« Chez Jean-Pierre Bertrand, une image n’est jamais arrêtée. Les œuvres sont des continuums qui jouent avec la porosité des médiums, s’inscrivent dans le présent, un « présent permanent. »

Buenos-Aires

Jean-Pierre Bertrand, une seconde à Buenos Aires © Jean-Pierre Bertrand - ADAGP
’’Buenos Aires’’, vue partielle d’exposition © Jean-Pierre Bertrand - ADAGP
Diamon’d, vue partielle d’exposition © Jean-Pierre Bertrand - ADAGP / Photo : Jonathan Pouthier

« En 1971, Jean-Pierre Bertrand est à Buenos Aires, employé comme opérateur pour Archives du XXè siècle, une émission de Pierre-André Boutang.
Alors qu’il traverse la ville en taxi, il filme à l’aveugle caméra au point. Ce document forme la genèse d’un ensemble d’œuvres photographiques. »

« Lors du tournage chez Borges, en réalisant un son seul, il le filme selon un léger travelling d’une durée de 2mn. Si ce document appartient à la production, Jean-Pierre dira par la suite qu’il a volé ses propres images. Les 2mn les plus longues de ma vie selon Borges. »

The Diamon’d

The Diamon’D © DR
’’Le Diamon’D’’ © Jean-Pierre Bertrand - ADAGP
The Diamon’d © DR

« Jean-Pierre Bertrand réalise une installation avec une photo, un agencement de papier sel, papier citron, papier miel, plexiglas. Tous ces éléments sont toujours constitutifs de l’œuvre. Cette œuvre il l’a détruite, il y a un début et une fin. Il n’a pas gardé l’œuvre. Voilà le titre, Diamon’d avec le D inversé, c’est la question de l’inversion. De cette œuvre il en tire un film »

Le Magasin, Grenoble, 1989

Exposition personnelle, vue partielle © Jean-Pierre Bertrand - ADAGP
Exposition personnelle, vue partielle © Jean-Pierre Bertrand - ADAGP
Exposition personnelle, vue partielle © Jean-Pierre Bertrand - ADAGP

« Dans ce plan il positionne des pièces, qui sont des formats anthropomorphes, 282 cm de haut, qui sont constitués de papier-miel rouge, papier-sel ou papier-citron. Il s’agit d’une combinatoire qu’il récré et qu’il positionne dans cet espace du Magasin, ou il joue sur la notion du double, de la répétition. »

Organisation pratique de l’archive d’artiste

Nina Rodrigues-Ely et Hélène Gheysens abordent l’organisation pratique d’une archive d’artiste par l’analyse de l’Easton Foundation, du portail de recherche Marcel Duchamp et du Fonds de dotation Jean-Pierre Bertrand.
Face à ces nouveaux enjeux, Hélène Gheysens et Nina Rodrigues-Ely détermine de manière empirique cinq questions fondamentales.

Quelle patrimonialisation pour les archives d’artistes ?

The Easton Foundation © DR
The Easton Foundation © DR
Capture d’écran de la page d’accueil du ’’Portail Marcel Duchamp’’ © DR

« L’archive d’artiste se situe dans un entre deux, ce sont des archives privées d’intérêt d’intérêt public. Se pose donc la question de leur organisation, de leur conservation »

Hélène Gheysens

Comment envisager la succession d’un artiste ?

Vue de l’atelier de Jean-Pierre Bertrand © DR

« Pour des héritiers, c’est toujours le chaos. La succession d’un artiste est toujours complexe. Comment exploiter une œuvre à plusieurs ou seul ? »
Nina Rodrigues-Ely

Que faire des documents qui forment une vie, une œuvre ?

« L’étude, le croisement des documents formulent des indices d’une enquête propre à l’œuvre et permettent sa relecture pour un catalogue raisonné. »
Nina Rodrigues-Ely

Comment préserver l’archive et la faire vivre ?

« Nous avons pensé dès la création du Fonds, être producteur « d’archives vivantes », en interrogeant et documentant le contexte de la scène française de la fin des années 1960 à aujourd’hui.
Il s’agit d’inscrire le travail de Jean-Pierre Bertrand dans le présent et de mettre en avant des filiations dans la nouvelle génération d’artistes. »
Nina Rodrigues-Ely

Comment l’archive révèle la pratique artistique ?

« La pratique artistique d’un artiste détermine l’organisation, la base d’inventaire. Les outils numériques permettent l’abolition des catégories et la fluidité. Pour nous il a fallu construire une base d’inventaire complexe refletant la fluidité de l’œuvre. »
Nina Rodrigues-Ely



Yellow green aplat

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