Fonds de dotation
Jean-Pierre Bertrand

’’Contrarier la perte’’
Dialogue entre Hélène Gheysens et Agnès Geoffray

Rencontre #6 À LIRE ET À ÉCOUTER

Pourquoi « contrarier la perte », ainsi que le programme Agnès Geoffray, et avec quels moyens ? L’artiste s’engage dans ce combat avec ceux de la création plastique, et plus particulièrement la création photographique, interrogeant, ce qu’est la contemporanéité, dans sa relation au déphasage et à l’anachronisme.

Jean-Pierre bertrand © DR
Niagara Rapids, Tirage pigmentaire, 127 x 140 cm, encadré
© Agnès Geoffray

Introduction par Hélène Gheysens

D’abord une première considération qui est philosophique. C’est une idée présentée par Giorgio Agamben, dans l’ouvrage, Qu’est-ce que le contemporain ?, il définit le contemporain comme l’inactuel, donc celui qui appartient véritablement à son temps, le vrai contemporain est celui qui ne coïncide pas parfaitement avec lui ni n’adhère à ses prétentions. À cette idée de distance qui permettrait véritablement de réfléchir et d’apporter du nouveau par rapport à ce qui existe effectivement, une deuxième définition qu’il propose, c’est que le contemporain serait celui qui fixe le regard sur son temps, non pour percevoir les lumières, mais l’obscurité. Et il utilise pour cela une allégorie que je trouve assez éclairante pour le coup, qui est l’allégorie de l’obscurité du ciel, qui correspond à la lumière des galaxies éloignées qui voyagent à grande vitesse, mais qu’on ne peut pas percevoir. Et l’artiste serait celui qui serait en mesure de percevoir ces lumières et de lui donner forme, et donc de le partager plus largement.
Une deuxième considération est plus historique. Lors de notre conversation à Nina et à moi le 12 février 2022, nous avions noté combien les artistes de l’ère post conceptuelle utilisent l’archive comme matériau. Alors j’ai ici une image de Jean-Pierre Bertrand qui présente l’annuaire de Buenos Aires, qui s’inscrit en référence à une esthétique administrative qui justement a été acceptée et finalement présentée par les artistes conceptuels. Il utilise également l’archive, parfois pour son pouvoir de décalage dans le temps et dans l’espace. Ici, il s’agit de la lecture d’une œuvre de Lublin par un inspecteur de police, Léa Lublin qui reprend les déclarations de censure de son œuvre à Buenos Aires pour le présenter à Paris afin de mettre en lumière les débuts de la dictature en Argentine. Jean-Pierre Bertrand utilise également ces décalages dans Classificados, où on voit un homme sous trois formes. L’archive est également utilisée dans une forme de, pour reprendre un anglicisme d’artivisme, d’artivisme, d’activisme artistique. Cela a été le cas notamment de Hans Hacke, avec cette œuvre, Schabowski, qui dénonce les appétits de promoteurs immobiliers à New York, dans les années 1970. Et cet activisme inclut également la contestation du statut autoritaire de l’oeuvre d’art et peut être, c’est ça qui nous concerne également aujourd’hui, cette forme d’autorité possible de l’image, ici Lea Lublin, détrône en quelque sorte la Joconde sous forme de posters, de cartes postales, en lui adjoignant un essuie-glace et en permettant qu’on la couvre. D’autres artistes au cours de la même exposition lui font subir d’autres outrages, puisqu’ici nous la voyons masquée et ensanglantée.
Alors une troisième considération, avant qu’on commence à converser ensemble, c’est une considération méthodologique puisque, à ce stade, il nous faut peut-être préciser ce que nous entendons par archives, puisque nous devons rendre compte ici, en vous présentant cette œuvre, qu’il y a une diversité d’éléments : cartes postales, photographies, vidéos, rapports de police. Il y a une grande variété de documents. Et justement, cette table de documents est importante puisque l’archive, c’est même par définition un document classé à des fins historiques. Alors le document, là encore, nécessite d’être défini. Qu’est ce qu’un document? Le document et ce qui fait preuve. Ce qui sert de renseignement. Donc nous sommes dans un cadre où ce n’est pas la nature de l’image qu’elle représente qui est considérée, mais son efficacité, sa capacité à faire preuve, donc à convaincre. Si bien qu’on s’inscrit de ce fait dans un cadre très contemporain, celui de l’efficacité de l’image et le pouvoir à la fois social, mental, de l’image de nous de nous toucher, de nous mouvoir. Cela suppose effectivement qu’on accepte la possibilité aussi de l’artiste d’avoir cette fonction sociale, de nous déplacer d’un point de vue mental et d’un point de vue comportemental. Et également, cela donne la possibilité à l’artiste d’être historien et de considérer et d’accepter que l’histoire puisse être en mouvement, puisse être réécrite.
Alors je suis très heureuse d’accueillir Agnès Geoffray pour parler de ces sujets et d’échanger sur la place que prend l’archive dans son travail avec ce programme, Contrarier, la perte. Agnès Geoffray je crois que beaucoup d’entre vous la connaissent, mais en quelques mots, tu as étudié à l’École des beaux-arts de Lyon, puis à Paris. Au départ, tu avais une pratique plutôt centrée sur le dessin et l’abstraction. Et puis, à l’occasion d’une résidence à la Rijksakademie à Amsterdam, tu as affirmé une pratique photographique et d’écriture. Tu as été pensionnaire à la Villa Médicis à Rome et tu es représentée aujourd’hui par la galerie Maubert, qui expose d’ailleurs actuellement une exposition collective intitulée Ce qu’ils nous réservent. Tu as également eu de nombreuses expositions individuelles. J’aimerais citer peut-être actuellement celle du Théâtre de Vanves qui va conduire à présenter une autre de tes pratiques, une performance en mars, qui est la performance Fléau. On voit que tu as une pratique qui n’est pas exclusivement photographique, mais la photographie est très importante dans ton travail, et pas seulement la photographie d’archive. Je voudrais citer la présentation que fait la galerie de ton travail : « s’élaborant souvent au départ de sources d’archives. Les propositions d’Agnès Geoffray résultent d’un processus de reconstruction fictionnalisé et interrogent l’idée de réminiscence. Ces récits, ces images que l’on assimile malgré nous s’ancrent dans nos mémoires de façon consciente ou inconsciente, et véhiculent l’idée d’une intimité collective, d’un référent commun. Réactiver ce sentiment est une des modalités privilégiées de sa pratique. Glanée au hasard d’un livre, d’Internet, d’archives diverses, elle rejoue et réinvente les textes et les images qui nous environnent quotidiennement, invitant le spectateur à reconsidérer sa mémoire.

Déplacer les images

Agnès Geoffrays et Hélène Gheysens commencent leur entretien en interrogeant les notions d’archives, d’images document et de photographies. Agnès Geoffray explique comment s’est forgée sa pratique, et explique ses modes opératoires.

Les évadées, fragments, les élégantes

Agnès Geoffray explique son travail à partir des archives du Château de Cadillac, première prison pour femmes en France.


Les Captives, les Chutes

A partir des projets Les captives et les Chutes, Agnès Geoffray explique comment, dans son travail, l’image d’archive permet la création de nouvelles images.



Yellow green aplat

© DR

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