Fonds de dotation
Jean-Pierre Bertrand

Permutations et œuvres potentielles
par Lydie Delahaye, historienne de l’art

Rencontre #7 - À LIRE ET À ÉCOUTER

« Le Diamon’d est le titre d’un ensemble d’éléments qui se manifestent dans l’espace par une forme – un contenu – la façon dont chacun d’eux est disposé et la façon dont ils configurent l’ensemble. » Jean-Pierre Bertrand

Jean-Pierre bertrand © DR
exposition monographique, vue partielle
© Jean-Pierre Bertrand - ADAGP

Introduction

« Mon sujet de recherche, qui a été aussi mon sujet de thèse, porte sur les films sur l’art, et constitue une des entrées possibles de la compréhension du travail de Jean-Pierre Bertrand. J’ai fait une thèse sur les films sur l’art qui s’intitulait Filmer l’art et non pas les films sur l’art. Une des problématiques de cette thèse, c’était justement de ne pas considérer le film sur l’art comme un genre cinématographique, qu’il est par ailleurs. Le genre cinématographique du film sur l’art existe au cinéma. Ce sont des films documentaires ou de fiction qui vont avoir comme sujet principal la création, que ce soit l’artiste au travail ou la biographie de l’artiste, ou bien tout simplement l’œuvre finie d’un artiste. J’ai voulu me détacher du genre cinématographique que constitue le film sur l’art pour plutôt essayer d’identifier à l’intérieur d’un corpus de films ce qui serait un geste artistique. Il m’a semblé assez évident qu’il était possible d’imaginer un parcours à l’intérieur de l’œuvre de Jean-Pierre Bertrand. Il sera composé principalement de films, mais je vais aussi mentionner quelques catalogues d’expositions et, par la force des choses, quelques expositions. D’autant plus que certains films sont des films d’expositions. Je vais effectuer un parcours à l’intérieur de son travail pour montrer comment l’action de filmer l’art peut se constituer vraiment comme un geste artistique, un geste de création.

La première des choses, c’est de revenir sur ce corpus que j’ai essayé d’établir dans mes recherches. Ce corpus navigue entre deux genres. D’abord vraiment du film sur l’art assez canonique. Ce sont des films documentaires principalement - j’ai éliminé vraiment la fiction - qui cherchent à comprendre la création. Ils cherchent à filmer l’artiste au travail et, par-là, essayent de comprendre le processus à l’œuvre au moment de sa fabrication. Parmi ces films canoniques, on trouve aussi des films, qui s’attellent à comprendre des œuvres finies, c’est à dire vraiment un geste d’historien de l’art qui utilise la caméra comme un outil d’analyse. Dans ce cas, au même titre que l’historien de l’art utilise sa grille d’analyse formelle, l’œil de la caméra va pouvoir comprendre les œuvres d’art, principalement la peinture, mais aussi un peu la sculpture. Ensuite, pour ma part, ce que j’ai essayé d’identifier c’est un autre geste qui est celui d’artistes qui utilisent le film pour comprendre leur propre création, principalement. Donc des artistes qui ont une production artistique autre que cinématographique, qui utilisent la caméra pour soumettre leur propre travail au mouvement, aux jeux d’ombres, aux jeux de lumière. En somme, des artistes qui, grâce au cinéma, cherchent à comprendre leur travail dans un autre état. Ce geste-là, je l’identifie dès le début du XXᵉ siècle, quasiment au moment de la naissance du cinéma, mais de manière très brève, puis plus largement dans les années 1920 et les années 1930, au moment des avant-gardes. Filmer l’art, c’était un geste d’artiste d’avant-garde qui va se constituer progressivement en véritable pratique artistique. À partir des années 1960 et 1970, avec un art d’une part performatif, mais aussi de plus en plus conceptuel, observer son propre travail par la caméra devient un geste conceptuel de remédiation.

Ce principe de remédiation, je pense qu’il est clé pour comprendre les films de Jean-Pierre Bertrand qu’on va regarder. Cette remédiation c’est l’idée qu’on regarde une œuvre à travers la caméra, et ainsi, que cette œuvre regardée se transforme en une nouvelle œuvre, puisque ces films eux-mêmes ont le statut d’œuvre d’art. C’est l’idée aussi d’une transformation d’un médium par un autre : ce sont des peintures, des expositions, des sculptures qui deviennent un film, aussi matériellement par leur inscription sur un film, une pellicule. Ce travail de remédiation, c’est une œuvre qui en devient une autre et un médium qui se transforme en un autre. Il me semble que ce travail est très présent dans l’œuvre de Jean-Pierre Bertrand puisque les permutations et les œuvres potentielles sont un peu partout dans son travail. C’est-à-dire que son travail n’est jamais figé, c’est un art vivant qui est toujours en transformation. Une photographie devient une image dans un catalogue et se transforme pour une autre exposition et devient un film.
Les films de Jean-Pierre Bertrand me semblaient aussi cohérents avec cette idée de filmer l’art parce qu’ils correspondent à la grande diversité des films qui composaient mon corpus de recherche. On sait que Jean-Pierre Bertrand vient du cinéma et cette culture est très clairement présente dans son travail. Cela correspond, par exemple, dans mon corpus, aux films de cinéma les plus canoniques comme ceux d’Alain Resnais, lorsqu’il filme de la peinture. Mais les films de Jean-Pierre Bertrand correspondent aussi à des films comme ceux de Brancusi qui sont un outil d’analyse pour l’artiste. Brancusi utilise le film pour analyser ses sculptures qu’il imaginait en mouvement, mais qui étaient bien souvent très figées au moment d’exposition. Brancusi met en mouvement ses sculptures, puis il va bouger autour des sculptures pour les soumettre à ce jeu du mouvement. Mais ces films-là, pour Brancusi, sont un outil et deviennent des archives. Leur statut est littéralement différent des films d’Alain Resnais. Cette grande diversité m’embêtait beaucoup dans la composition de mon corpus de recherche, et en découvrant les films de Jean-Pierre Bertrand, la première chose qui m’a intéressé et intrigué, c’est vraiment le fait qu’il navigue entre tous ces genres sans problèmes. Cela est sans doute dû au fait qu’il vienne du cinéma, c’est sa formation, et qu’il ait fait du cinéma documentaire. Vous pourrez voir aussi dans sa bibliothèque qu’il y a un rayon cinéma. Cela tient aussi du fait qu’il va utiliser le cinéma, par exemple un extrait d’un film de Kubrick pour l’oeuvre Passing Through. Donc le cinéma, l’histoire du cinéma, c’est quelque chose qui le travaille, et, en même temps, il va faire des gestes qui sont plus semblables, à mon sens, à celui de Brancusi qui est de filmer ses œuvres exposées dans des musées, dans des espaces d’exposition, d’une manière que je qualifie entre guillemets, d’expérimentale. Tous ces registres me semblaient correspondre à ma problématique d’établir un corpus : il y aurait finalement un artiste, Jean-Pierre Bertrand, qui correspondrait à ce grand panel de genres cinématographiques.
Ce que je vous propose aujourd’hui, c’est finalement non pas une conférence sur le travail de Jean-Pierre Bertrand, mais plutôt un parcours à l’intérieur de quelques-uns de ces films, quelques-uns de ces catalogues et expositions et qui comprendra aussi deux films sur l’art qui sont chronologiquement différents et qui n’appartiennent pas du tout au spectre de Jean-Pierre Bertrand, mais qui me semblait pouvoir faire écho à son travail et me permettre de tenter une généalogie. »
Lydie Delahaye

Le souci du détail

Qu’il s’agisse de Samout et Moutnefret, de son intervention au Musée des Beaux-Arts de Nantes, ou de son film d’exposition Diamond’d, le film chez Jean-Pierre Bertrand s’élaborent autour d’une attention portée au détail. Une manière de fragmenter l’œuvre autant que la contextualiser dans le présent de son exposition.

Samout et Moutnefret, 1993

photogramme du film Samout et Moutnefret,
 Film 16mm numérisé, noir et blanc, sonore, 12min.
 Collection privée © Jean-Pierre Bertrand - ADAGP

Dialogue ininterrompu, 2001, Musée des Beaux-Arts de Nantes

’’Dialogue ininterrompu’’, vue partielle d’exposition © Jean-Pierre Bertrand - ADAGP, 2001

Diamon’d, 1981

The Diamon’d © DR

Filmer l’exposition comme un labyrinthe

Lydie Delahaye analyse un autre motif récurrent dans la filmographie de Jean-Pierre Bertrand : le film d’exposition. Elle fait la généalogie de cette pratique en évoquant le film de 1944 de Harry Holtzman sur l’atelier de Piet Mondrian et le film que Storm De Hirsch réalise dans l’exposition Malevitch au Guggenheim à New-York en 1965. Filmer l’exposition, pour Jean-Pierre Bertrand comme pour ces deux artistes, relève moins de l’archive que d’un geste de création.

Treize ans avant l’an 2000, 1987

Photoframme du film Treize ans avant l’an 2000 (In search of the miraculous) © Jean-Pierre Bertrand - ADAGP

Exposition au Musée des Beaux-Arts de Nantes, 1992

exposition monographique, vue partielle © Jean-Pierre Bertrand - ADAGP

Le diable évidement, Musée d’art de Brest, 2003

jean-pierre-bertrand-jpb-film00001-recto01-creditjpb-1132 © DR

Conclusion, l’anthologie

En conclusion Lydie Delahaye évoque un dernier aspect de l’œuvre filmique de Jean-Pierre Bertrand : l’anthologie, ou comment la suite des films réalisés par l’artiste peut etre réélaborée en une œuvre autonome. Par un glissement du film au livre, ce geste d’assemblage permet à Lydie Delahaye de revenir sur un des premiers catalogues de Jean-Pierre Bertrand publié à l’occasion de son exposition au Musée d’art de Toulon en 1981.



Yellow green aplat

© DR

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